Press

CHARLIE HEBDO - «Noir c’est noir» N 1589, 07 Janvier 2023

L’artiste iranienne Yosra Mojtahedi a exposé au 3Cinq, à Lille. Ce lieu de plus de 250 m² dédié à l’art contemporain a ouvert l’an passé espère s’imposer grâce à des œuvres originales et interpellent les visiteurs. C’est dans cet optique que le travail de Yosra Mojtahedi s’inscrit. Le Noir, une couleur sombre qui n’inspire pas la gaieté, prend vie pour parler des combats féministe des iraniennes. Pour l’artiste son art est politique. Elle veut désacraliser le corps des femmes et interroge la place de la féminité dans la religion et la société. Son œuvre est à hymne à la liberté. Pas certain que ce désir soit entendu à des des milliers de kilomètres. Le Mollat est apparemment sourd ou… juste con!

ENTRETIEN DE MARC LASSEAUX AVEC YOSRA MOJTAHEDI - 14 Janvier 2023

Marc Lasseaux : Vous êtes née à Téhéran en 1986, vous arrivez à Lille en 2014 en ayant effectué un premier parcours d’étude d’art à l’université de Téhéran. Ensuite, vous commencez ici une double formation diplômante à l’école supérieure d’art de Dunkerque-Tourcoing. Par la suite, vous intégrez le Fresnoy et en sortez avec la promo de 2020. Racontez-nous qui vous êtes et d’où vous venez.

Yosra Mojtahedi : Oui, je démarre ma formation en Iran qui est un pays dans lequel le jeu des relations sociales reste complexe. Depuis mon enfance, je cherche ma place. Je suis née dans une famille religieuse, ma famille paternelle est kurde et ma mère est perse. La religion prédomine dans notre culture. Dès mes plus jeunes années, je suis confrontée à celle-ci et à la vision politique qui en découle, aux notions de bien et à l’enjeu de devenir une bonne personne. Les paradoxes se révèlent rapidement entre les sphères publique et privée. Petite fille, je cherche la vérité par-delà ce qui m’est imposé au sein de l’école, de la famille. Grâce à ma famille qui est au final assez ouverte à la discussion, j’ai la chance de découvrir la culture au travers d’expositions, de la musique. Rapidement, je tente de comprendre l’art et de le pratiquer car il m’ouvre une porte vers quelque chose qui n’a pas de limite. On peut dire que l’art m’a permis de répondre aux questionnements et à trouver le sens de ma vie.

ML : La recherche serait-elle pour vous un chemin d’émancipation ?

YM : Je ne me suis jamais dit cela. C’est quelque chose de naturel et spontané, tel l’oxygène pour la respiration. Et aujourd’hui, comme beaucoup d’artistes femmes iraniennes issues des nouvelles générations qui se révoltent, se battent et revendiquent, je suis dans cette quête de liberté qui provient du rejet de la société traditionnelle.

ML : Évoquons l’éco-féminisme vers lequel vous semblez vous porter, soit un lieu de rencontre entre la démarche écologique et le féminisme.

YM : Deux grandes questions se dégagent parmi les nombreuses problématiques actuelles : la place de la femme, ainsi que celle de la nature et de l’écologique. L’un et l’autre sont liés. La réponse réside dans cela. Aussi, on parle de la place de la femme dans la société mais on pourrait également discuter de celle de l’homme. J’en parlais avec quelqu’un l’autre jour et il me disait cela : « et si nous les hommes, on revendiquait aussi notre place. »

ML : Cette exposition offre différents points d’entrée. Il y a les médias : le dessin, la sculpture, l’installation, les objets animés. Il y a la rencontre entre la forme organique, la nature, le sexe féminin indifférencié du masculin ; et enfin celui de la couleur, en admettant que le noir en est une, et qu’il joue avec le blanc, son binôme. Tout cela est constitutif de votre travail sur le long terme cumulant vos expositions, résidences et prix. Quand a commencé votre démarche continue ?

YM : Chez mes parents, je pratiquais la peinture. Mes premières toiles étaient plutôt figuratives et mélangeaient les couleurs. Inconsciemment et progressivement j’y ajoutais de multiples couches de couleurs, puis le noir. Cette couleur venait camoufler l’ensemble.
Arrivée en France, je ne parviens pas à susciter l’intérêt tant espéré et à trouver ma place. Je rentre alors aux Beaux-Arts. L’angoisse et la rage augmentent. Je m’achète un crayon, des feutres et du papier, et je recommence à dessiner avec toutes ces émotions en moi, j’ai supprimé les corps. Je suis toujours entourée de plantes, car, comme mon père me l’a toujours dit, elles sont indispensables à la vie, la respiration. Ainsi, sur le papier qui est blanc, lumineux, je commence à dessiner des formes hybrides entre végétal et minéral, le corps féminin et aussi masculin, et cela de façon inconsciente. Alors je rentre au Fresnoy, une nouvelle dimension de mon travail démarre. J’ai une envie forte de toucher la matière, l’eau, les plantes, les branches. C’est une rencontre sensuelle avec ces formes mais aussi avec la vie contemporaine, les nouvelles technologies. Je crée des sculptures, des installations. Je poursuis cette création de corps hybrides, étranges et vivants. A partir de ce moment, l’inconscient rejoint la conscience. Je perçois mon passé, le corps blessé et la féminité supprimée. Comment alors faire tomber les limites, les frontières qui m’ont été imposées par le passé ?

ML : Voici un court extrait qu’a écrit Christophe Vlaminck pour l’exposition qui reprend en partie ce que vous venez d’exprimer et introduit la poésie présente dans votre œuvre :
« La vie, le corps le corps l’amour le rapport sexuel et sensuel sont les cœurs de cible de l’artiste. Tout n’est que fusion, osmose, rencontre. Le vivant mais aussi le non vivant définissent notre identité. Yosra rêve d’un monde où les questions politiques, écologiques, identitaires, sexuelles seraient appréhendées sous la focale de la poésie, de l’organique et de … .» Vous nous préciserez d’ailleurs peut-être de quoi il est question à propos du non-vivant.

YM : L’idée est de passer outre cette douleur que je ressens et qui est partagée entre nous toutes et tous. Nous ne sommes finalement qu’un, la distance entre nous s’estompe. Comment alors transmettre ce message politique de manière poétique ? En Iran on rencontre toutes ces difficultés pesantes à cause de la religion. D’un autre côté, on vit avec la poésie ancienne, celle-ci devient une aide face à l’obscurité, et, de façon plus douce et discrète, elle nous propose des chemins. Ainsi, dans mon œuvre, on voit ces organes, l’érotisme qui découle de mes formes, il n’y a ni bien ni mal, le noir et le blanc s’entremêlent ; de l’obscurité sort la lumière. La poésie guide ma création.

ML : Parlez-nous de votre mode de travail, de la façon dont vous élaborez vos œuvres, de la continuité et des ruptures qui la perturbent, ces moments critiques grâce auxquels quelque chose de nouveau apparaît.

YM : L’insatisfaction m’amène à refaire des choses. Dans l’atelier, je donne une place à mes créations. Aussi, j’évoque à nouveau mon enfance et la place de Dieu, ce créateur qui donne la naissance. Je ne comprenais pas cette notion inaccessible. Aujourd’hui, je considère que la femme est créatrice. La société s’attend à ce que la femme enfante, mais moi je deviens créatrice et je crée ces formes hybrides qui parlent de cela. C’est ainsi que l’on retrouve ce côté vivant dans les formes créées dans des laboratoires, ces robots organiques qui ressemblent à des corps, des cordons, des organes où le féminin et le masculin se mélangent. Le non-vivant devient vivant. À partir d’une page blanche, de la poésie, des mots, des brouillons, je parviens à la création de ces formes finales.

ML : Parlons maintenant des mots choisis, du discours. En se référant aux titres de vos œuvres, une histoire est racontée, une proposition est donnée évoquant le surréalisme dans le sens où ça n’est pas un réalisme descriptif. Citons quelques exemples : Envoutement d’un duvet noir, Horizon d’un trou mouillé en expansion, Les lèvres mouillées au bord de la paroi d’une fleur, etc.

YM : L’irréel devient réel, nous perturbe, on oscille entre réalité et fantasme. Les cartes sont brouillées : la vérité, la réalité, cette gêne par rapport à nos corps, la spiritualité, toutes ces dimensions se mélangent et deviennent fantasmatiques. Le titre et ce que l’on voit créent une dynamique vers d’autres imaginations et rêveries. Ce que l’on voit n’est pas forcément la réalité mais ce que l’on est en train d’imaginer, de rêver, et ce que l’on désire.

 

CORPS - LIMITES, par Christophe Wlaeminck , Janvier 2023

Noir, comme l’écran de projection fantasmatique dédié à nos paupières lourdes et fermées, d’où aucun rêve n’émerge encore.
Noir, comme l’écran d’ordinateur qui n’est pas encore allumé mais qui, d’un geste, remplacera l’obscurantisme par la connaissance.
Noir, comme ce noir sidéral qui absorbe tout, même la lumière de nos vœux les plus justes et pieux.
Dans l’univers de Yosra Mojtahedi le noir représente l’absolu, le rien et le tout, la vérité en toutes choses.
Le noir est deuil de lui-même, s’il ne peut révéler la lumière et ses subtilités colorées, diffractées.
Il est mystère, silence et sophistication.
Il est l’élément éminent de toute mise en scène, des peurs enfantines comme des jeux adultes.
Il incarne l’abnégation, le renoncement, le sacerdoce.
L’artiste prête au noir des intentions cachées dans les plis et replis de ses dessins, tels des indices nécessaires à la compréhension de ses installations. Le noir accompagne les protubérances palpitantes et odoriférantes, selon l’amorce des mouvements de certains éléments de ses sculptures-assemblages, sous la gouverne d’une action du spectateur impliquant une réponse. Le masculin se fond dans le féminin en un corps total, désirant et réactif, impulsant le désir chez le spectateur-acteur-voyeur. L’oeuvre-machine auto-érotique et auto-alimentée de ses propres ressources, se nourrit des stimuli externes tout en se suffisant à elle-même. Hermaphrodite, elle n’attend qu’un hâle, une caresse distraite pour s’activer.

Qui se souvient des corpuscules de Krause, ces capteurs sensoriels destinés à nous faire ressentir le froid, mais appliqués aux érectilités sexuelles, procurent du plaisir ? Des corpuscules dont on aimerait parsemer tout l’épiderme des corps des deux sexes, à des fins érotiques dans un premier temps, et sociaux dans un but ultime : la paix, enfin ! ¹

Stimulus-réponse : c’est ainsi que l’artiste envisage ses sculptures animées : en impliquant le désir vivant. Un corps à corps entre le geste désincarné et la matrice robotisée, où le viscéral se coltine le cérébral sans aucune possibilité d’en être extrait.
Sommes-nous, à ce titre, des machines amoureuses ? La normalisation du déni ignorantiste duquel le rôle des hormones entre le cerveau et les organes génitaux se pose en problème, au même titre que la rotondité de la terre, de son cycle autour du soleil.
Ombre dionysiaque et lumière apollinienne, le manichéisme n’est pas vain.
Yosra Mojtahedi a l’intuition de la raison, comme au temps béni des surréalistes.
De l’informe² au sens que Georges Bataille en fit la définition dans sa revue Documents, redéfini par Rosalind Krauss et Georges Didi-Huberman dans les années 90, présume du chemin à parcourir pour apprécier pleinement l’envergure du travail mené par l’artiste, afin d’en finir avec nos visions obsolètes du mécanisme qui induit l’érectilité de nos pensées comme de nos objets sub balteus.
De l’objet du désir, s’il l’est encore, à l’heure du tout abject, il en est question : érectilité mécanisée, senteurs synthétisées, corps végétalisé, minéralisé, démembré, réassemblé, déconstruit avec la nécessité de le repenser, à l’heure de l’après ; de l’après-tout-ce-qui-se-passera, de toutes les manières…
¹ Relire, à ce propos, l’épilogue des particules élémentaires de Michel Houellebecq, éd. Flammarion,1998.
² Georges Bataille, Documents 7, décembre 1929 : « affirmer que l’univers ne ressemble à rien et n’est qu’informe revient à dire que l’univers est quelque chose comme une araignée ou un crachat »).


TURBULENCES VIDÉO DIGITAL & HYBRID ARTS - revue trimestrielle #116 - Juillet 2022   / Par Clément Thibault 

Un corps sans sexe, l’un et l’autre, les deux. Un corps de fleur, un pistil animal, un galbe minéral. L’affinité avant l’identité. Peau silicone, nerfs électroniques. Pure fête organique, mais à l’âme binaire, code. Un délire mystique, création d’une créature. Comme on projette aisément la vie dans l’inerte. On le veut. Que les choses vivent autour de nous.

Depuis peu, un trouble lancinant nimbe notre perception du corps. Yosra Mojtahedi le saisit, elle le cueille, pour faire éclore une sculpture singulière, jouissive, vivante — vieux rêve Galatéen. Ce trouble, c’est celui à propos duquel ont écrit Judith Butler, avec la dissociation du genre et du sexe anatomique, Donna Haraway via le cyborgisme, sur notre nature hybride croissante, qu’il s’agit de saisir pour établir une nouvelle manière d’être, un modèle de société changé, ou encore Paul B. Preciado, sur son expérience de l’hormonothérapie pour transitionner. La perception de notre propre corps s’est brutalement retournée en quelques décennies. Le sanctuaire sacré, le reflet divin a chu, quelques blessures narcissiques plus tard, nous ne sommes plus si différents que les autres corps qui peuplent la planète — la génétique témoignant d’une différence de degré seulement avec les autres « espèces » —, et la psychanalyse puis la biologie ont décrété que nous n’étions pas seuls chez nous — la conscience se partage avec l’inconscience, et on a quelques kilos de bactéries vivant dans notre corps, sur notre peau, symbiotiquement avec nous. Le corps est un objet qu’on façonne à notre guise, et quand on y pense, il se machinise bien vite (prothèses, wearables, stents…), parfois on le quitte même pour s’avatariser dans le métavers, d’autres on se blinde de cachetons, pour nous augmenter ou nous soigner, du chemsex au microdosing en passant par les traitements plus conventionnels.

Yosra incarne cela. Cette vision joyeuse et libératoire du corps devenu sac de viande certes, mais sensible. Quel prodige que les sensations que le corps nous offre, et qu’elle s’emploie à toutes stimuler — nappages sonores, œuvres tactiles, odorantes. Encore plus particulièrement dans les trois projets qu’elle a mené ces dernières années, Vitamorphose (2019), L’Erosarbénus (2020) et Sexus Fleurus (2021). Trois installations sculpturales qui s’activent, d’une respiration délicate, suave, en sentant la présence de leurs visiteurs. Un petit prodige permis par un recours à des matériaux (silicone notamment) et techniques venant des soft robotics, en partenariat avec l’INRIA – Defrost — Deformable Robotic Software. Quand je sens la douceur du silicone sous ma main, je m’étonne qu’il ne soit pas plus chaud, je me surprends à croire au pied d’un enfant dans le ventre de sa mère quand je sens la peau bouger et se tendre. Entre la vie artificielle et l’artificialité vivante, c’est évidemment au second champ qu’est condamnée Yosra Mojtahedi. N’empêche que ses œuvres semblent vivantes, elles expriment ce trouble, embrassent cet indistinct croissant du corps. En fait, ce dont il est question il me semble ici, c’est l’unité et l’identité déchues (ce qui nous distingue et nous singularise des autres corps du monde) pour l’affinité (ce qui nous en rapproche). Yosra s’attache à réaliser des hybrides purs, amusant oxymore. Ses sculptures sont androgynes, végétales, humaines, animales, machines, un soupçon caillouteuses, rien de tout cela, et tout cela à la fois… D’excellents artistes, le collectif Quimera Rosa, pour éviter d’utiliser ces taxinomies poussiéreuses (interrègne, interespèce…), ont créé le néologisme interbioformae, littéralement « entre différentes formes de vie ». Je crois que l’adjectif sied bien à ces sculptures, elles sont interbioformae.

Et Yosra pousse le vice, si l’on peut se permettre l’expression, encore plus loin, en ménageant toujours une forte tension érotique dans ses œuvres. Ces hybrides deviennent les objets de désirs incertains, qu’on se surprend à avoir, et dont l’accrochage à l’adagp témoigne avec force. Une vision du corps libre et libérée, peut-être en réaction au fait d’avoir grandi dans un régime (Yosra a grandi à Téhéran) qui cache les corps et condamne le désir hors du foyer. Les machines désirantes, et désirées, fondent sur le monde

 

LE POINT, Par Geoffroy Deffrennes | Publié le 7 novembre 2019   «Yosra Mojtahedi Transfigurée au Fresnoy»

Elle a débarqué un jour à Roissy avec un master d’arts plastiques, un visa de tourisme et deux grosses valises : « Dans mes bagages, aucun vêtement mais ce que j’avais de plus précieux : mes photos et mes peintures roulées… Je ne parlais qu’anglais, j’ai appris le français en deux ans. » La présence d’amis dans la métropole la pousse à s’inscrire aux Beaux-Arts à Tourcoing, en 2017. Elle n’avait jamais entendu parler du Fresnoy, en Iran. Ce fut un choc. « Une expérience magique qui influence mes travaux. De nombreux habitants de la métropole ne connaissent pas ce lieu, mais je vous assure que même au Mexique on m’en parle ! »
Yosra se souvient de l’étourdissement éprouvé lors de son arrivée en France. « Tout me semblait étrange, les gens, la culture, la langue, je ne parvenais même plus à communiquer par l’art. Si les figures féminines étaient centrales dans ma peinture, à force de rajouter des couches de plus en plus sombres, les visages disparaissaient. » En Iran, ses compositions s’adaptaient à la censure. « Parfois la police démontait mes tableaux lors d’expositions. Mais ma vie était confortable, j’enseignais l’illustration à l’université, j’arrivais à vivre de mes toiles : le marché de l’art fonctionne bien là-bas, de nombreuses galeries sont en lien avec Dubai ou le Koweït. »
Dans la banlieue lilloise, où Yosra et son compagnon, violoncelliste français, ont déniché une jolie maison, la jeune Iranienne a vu son art se modifier lentement. « Mon regard se fermait, sans doute, en Iran. Ici, mon œil semble plus universel. Je redeviens moi-même, les formes féminines sont plus présentes. Mais je crois qu’il me reste quelque chose des années de censure : je ne montre pas directement les corps. Et tant mieux, car c’est plus poétique. Je dessine, la photographie m’influence, et au Fresnoy j’ai pu sortir enfin des formes et les mettre dans l’espace. »
Yosra, née d’une mère perse et d’un père kurde, définit son travail comme postsurréaliste, elle évoque son intérêt pour Francis Bacon mais aussi pour la Libanaise Mona Hatoum, exilée à Londres, l’Indien Anish Kapoor et les poètes iraniens Forough Farrokhzad, Ahmad Shamlou. Baudelaire aussi a sa place dans le panthéon personnel de Yosra, qui, parallèlement à sa vie de plasticienne, a toujours écrit et traduit des poèmes du persan au français.

La voix du Nord/ avril 2021/ Rencontre avec l'artiste iranienne Yosra Mojtahedi / Par Bruno Trigalet

Il y a quelques jours, l’artiste iranienne Yosra Mojtahedi, établie à Loos depuis plusieurs années, a reçu le prix Révélation dans la catégorie art numérique et art vidéo de l’ADAGP (association nationale des auteurs des arts graphiques et plastiques). L’occasion pour nous de découvrir son œuvre et son parcours.
Yosra Mojtahedi nous reçoit dans la jolie maison de l’avenue Saint-Marcel de Loos qu’elle partage avec son compagnon le violoncelliste Timothée Couteau. Sur les murs sont accrochées d’innombrables encres et gravures. Élégantes courbes noires qui dessinent des formes végétales et humaines.
«  J’ai toujours eu un problème avec mon corps », lance-t-elle pour expliquer sa démarche artistique. Étonnante entrée en matière. Car Yosra, dont les traits du visage sont finement ciselés, dont la longue chevelure noire drape élégamment les épaules et fond sur une robe anthracite, est belle et lumineuse, telle Anahita, déesse de la Perse antique.
Elle poursuit dans une langue française qu’elle ne pratique que depuis sept ans mais dont elle maîtrise déjà les subtilités. « J’ai toujours dessiné des corps de femmes mais je mettais par-dessus un gribouillage ». Ce n’est que bien plus tard que les choses s’éclaireront. « Inconsciemment , je cachais ces corps. Parce que j’obéissais sans y réfléchir à une culture, celle de l’Iran, mon pays, où le corps est tabou ».

LE CHEMIN DE L’OUVERTURE

Dès l’adolescence, Yosra sent que l’art sera le chemin de son ouverture. Sa solution. La beauté du corps féminin « d’où émane la poésie du monde », elle la représentera en la suggérant à l’encre noire parmi d’autres formes végétales et minérales. Ici, dans un interstice se niche l’arrondi d’un sein. Là dans un inextricable écheveau de fleurs, feuilles, tiges et branches, se dessinent des lèvres et des yeux. Ici, des fesses et des jambes. Là, un sexe féminin.
Cette façon de recréer l’image du corps au travers d’autres éléments de la nature, elle la fera évoluer, notamment aux Beaux-Arts de Téhéran. Elle fait de l’interdit une contrainte qui façonne tout son travail. La dissimulation devient objet artistique. Elle expose en différents endroits d’Orient, galeries et musées où l’on accepte d’aller aux limites de l’autorisé.

SCULPTURES VIVANTES

En 2014, à 27 ans, elle décide de poursuivre son chemin en France, « pays du beau et de l’art ». S’inscrit aux Beaux-Arts de Tourcoing, entre au Fresnoy, studio de promotion des arts contemporains, de Tourcoing.

« Depuis quelques années, je veux dépasser la représentation en deux dimensions ». Mais elle ne se contente pas de sculptures. Ses œuvres, elle veut leur donner vie… Elle trouve alors toutes sortes de subterfuges et crée des installations étonnantes. Les muscles se bandent, les veines palpitent, les feuilles semblent onduler sous l’effet du vent, des racines lancent leurs ramifications. « J’ai conçu ces œuvres pour qu’il y ait un échange sensuel et tactile avec le visiteur. On peut toucher. On peut sentir aussi des odeurs. Et entendre des sons et de la musique ». Un travail mystique et beau, remarquable de sensualité et d’étrangeté, triomphe du corps de la femme, à peine visible, mais pourtant libéré des chaînes de la censure.

 

 

Yosra MOJTAHEDI est la Révélation Art numérique - Art vidéo 2020/ ADAGP

 

Pour la sixième année consécutive, l’ADAGP s’associe avec Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains, à Tourcoing, pour récompenser un artiste émergent dans la catégorie Art numérique – Art vidéo.

Pour cette édition, il a tenu à mettre en lumière le « face à face » homme/machines, vecteur d’une hybridation esthétique forte, qui répond à nos rapports futurs avec les mondes numériques.

« Cette pièce oxymore et novatrice, qui attire et repousse, fascine et alerte, dans un baroque technologique assumé, associe soft robotique et céramique, dessin et programmation, sculpture et sensations dans un geste artistique qui émerge de l’obscurité. »

Yosra Mojtahedi reçoit une dotation de l’ADAGP de 5000 euros. Son travail sera également présenté sur les cimaises de l’ADAGP. La Révélation et la mention spéciale bénéficieront d’un portrait filmé et diffusé sur le site d’Arte.

 

Artension/ avril 2020/LA VITAMORPHOSE DE L'OBSCURANTISME/ Pages 40-42 / Par Jean Jacques Gay

Lorsque l’on pénètre l’obscurité qui abrite Vitamorphose, la dernière pièce de la jeune iranienne Yosra Mojtahedi, on fait face à un monolithe difforme qui nous attire inexorablement vers la vie de ses formes moulées en polymère robotisé. Vitamorphose est une œuvre avec laquelle le visiteur établit une relation inconsciente et complice. Une sculpture qui interagit si bien avec son visiteur, en respirant, bougeant, ronronnant même, à l’approche de ce dernier, qu’il ne pourra résister à avancer rapidement la main pour en toucher la texture et les formes cachées. Il découvre un téton, une anfractuosité une saillie, une fesse, une poitrine et peut-être aussi un sexe ou une fossette qui palpite sous sa main. Un façon d’avoir une expérience avec l’objet, sa matière, sa forme et sa vie !

Si la sculpture de Yosra Mojtahedi n’est pas forcément faite pour être palpée, l’attitude de l’œuvre même qui émerge de l’obscurité brise les tabous et établit tout de suite une relation inconsciente avec ses visiteurs qui ont envie de briser les interdits.

Découverte fin 2019 dans Panorama 21, cette sculpture cybernétique s’expose ce début 2020 dans une exposition intitulé Fluidité : L’humain qui vient. A partir de là rien n’est un hasard car Yosra Mojtahedi est à la recherche d’une nouvelle humanité. En France depuis 5 ans la jeune plasticienne, qui vit et travaille à Lille, a très tôt commencé à peindre et à dessiner et c’est à l’université de Téhéran qu’elle validera un master d’art plastique alors qu’elle expose déjà en galeries. J’y montrais des œuvres très classiques : des dessins, des toiles ou même des petites formes comme des écritures. Mais je me concentrais sur la peinture et aussi sur la photographie.

S’il y a quelque chose qui a orienté mon travail, c’est la censure iranienne.

C’est chez ses parents fonctionnaires que cette jeune fille commence à peindre des toiles avec beaucoup de couleurs qu’elle expose complètement noires. Peinture dont qu’il ne reste que de petits éléments figuratifs : un peu de visage, une main, un œil. Inconsciemment, Yosra rajoutait sur les figures et les corps des couches et des couches de noir avant de les montrer en public. Un travail recouvert par un voile noir qui dure presque 10 ans, avec une prise de conscience qui émerge en France lorsqu’elle décide de quitter l’Iran pour voir “comment c’est de travailler avec plus de liberté dans un autre pays. J’ai pris conscience que tout ce noir de mes tableaux venait de la censure de la société iranienne. Je m’était inconsciemment auto-censuré.

 

 Tourcoing Info/ septembre 2019/ DANS LES COULISSES DE PANORAMA 21

Le Fresnoy, studio national des arts contemporains, présente, du 21 septembre au 29 décembre 2019, la 21ème édition de « Panorama », l’exposition annuelle des étudiants et des enseignants en matière de création contemporaine en vidéos, films, sons, photographies et installations.

« Vitamorphose » Yosra Mojtahedi
Une création qui nous invite dans l’inconnu. Dans une pièce partiellement plongée dans le noir, nous distinguons une forme non identifiée, éclairée par un faisceau de lumière. Posée sur un socle en plâtre, cette sculpture vivante en silicone réagit et « vit » lorsque l’on s’approche d’elle. Des mouvements qui veulent rappeler, entre autres, le système nerveux d’un corps humain. Cela est rendu possible grâce aux capteurs intégrés à l’intérieur de l’objet.
Pour Yosra Mojtahedi, cette oeuvre se veut interrogative. D’origine iranienne, la jeune femme confronte le regard du spectateur sur le corps, sujet tabou dans son pays d’origine. D’ailleurs, on aperçoit quelques formes de l’anatomie humaine sur la surface de la sculpture.
À voir ! Lorsqu’elle arrive dans le nord de la France, où elle a des amis, la jeune peintre iranienne est confrontée à une nouvelle culture à une autre atmosphère, et elle concentre son travail sur ses dessins. C’est à cette époque qu’elle produit un nouveau travail organique et hybride où des formes très sensuelles, très sexuelles étaient mélangées avec des formes naturelles, végétales. J’étais encore bloqué par la censure, car je ne dessinais pas vraiment les organes sexuels tels qu’ils étaient, je les cachais dans des formes minérales et végétales. Mais cette fois ci c’étais en pleine conscience, je comprenais enfin ce que j’étais en train de faire.

Comme en Iran, Yosra Mojtahedi continue à travestir cette chaire, mais en lui donnant une dimension plus poétique et onirique ce qui l’amène à avoir un nouveau regard sur l’humain, comme ce qu’elle écrit aujourd’hui en réaction sur ce qui se passe dans son pays, son désespoir en l’homme. Car cette jeune femme, qui vit entouré d’objets, de cailloux, de pierres, de plantes et de fleurs séchées, et qui tente de reconstituer sa collection de Téhéran, reste sous influence de ses compagnons minéraux. C’est en imaginant la vie des pierres, des minéraux, des météorites… qu’on peut voir la vie autrement, dit elle, je voulait voir comment l’humain s’accroche aux formes végétales, florales… (les plantes sont comme des êtres humains) je pense qu’il n’y a pas de transfert. Dans cette recherche aux Beaux arts, je me suis retrouvé vraiment moi, vraiment libre !

Après son passage aux Beaux Arts de Tourcoing où elle travaille l’installation, fait sa première sculpture (Tombée du Ciel – 2018), et révise, en un an, et en français, tout ce qu’elle a appris en Iran, le jeune plasticienne construit un projet artistique pour rentrer au Fresnoy d’où elle sortira en 2020. En portant un regard sur les rapports Arts/Sciences une autre vie s’est ouverte à moi au Fresnoy, avec un regard tourné vers des choses plus humaines que la politique religieuse ou sociale. Une autre vie qui emporte la plasticienne dans ses créations comme dans ses écrits, car l’artiste dont, le père kurde, aujourd’hui disparu écrivait à ses heures, garde un grand attachement à la poésie. C’est sans aucun doute Baudelaire et la poésie française qui l’ont amené en France et sorti de l’obscurité.

Pourtant Vitamorphose cultive cette obscurantisme même avec lequel Yosra Mojtahedi travaillait sans le savoir en Iran. Mais ici l’artiste propose une forme qui devient “une lumière dans cette obscurité. Je montre des formes interdites qu’on a pas le droit de voir, de montrer, de toucher, et qui restent un tabou, même dans la société occidentale”. Et Yosra Mojtahedi pose sa jeune œuvre en deux questions : Que se passe t’il lorsque l’on met une forme interdite dans l’espace public ? Quelle excitation peut-elle apporter, ou pas, par son mouvement ? Une chose est sur, avec sa vie propre, la sculpture de Yosra Mojtahedi nous apporte un nouveau désir… d’art.

 

Artpresse/ octobre 2019/EXPOSITIONS REVIEWS - TOURCOING/ Pages 40-42

Panorama 21. Les revenants
Le Fresnoy – Studio national des arts contemporains / 21 septembre – 29 décembre 2019 Ce rendez-vous annuel de la jeune création atteint l’âge majeur des 21 ans et, signe des temps, se renouvelle là où on ne l’attendait pas vraiment. À la débauche de technologie visuelle aussi invasive qu’immersive et parfois de gadgets interactifs dont certaines éditions ont pu être l’incarnation, cette année marque le retour inattendu à l’objet et à la matière. Jean-Hubert Martin, le commissaire invité de cette édition, ne dit pas autre chose quand il écrit dans la préface du catalogue: « Un grand nombre d’œuvres de Panorama 21 montre une tendance à revenir à des fondamentaux, quitte à le faire avec des technologies et des moyens expérimentaux. On aboutit à ce paradoxe: dans une école dédiée à l’usage des technologies les plus avancées, les artistes interrogent leurs fondements et cherchent à repartir à zéro, reprenant des pistes abandonnées par les scientifiques et ranimant des revenants. » Les œuvres peuvent être tactiles sans être digitales (Yosra Mojtahedi), ressembler à des autels mobiles en fer forgé (Éliane Aisso), émaner d’un savoir-faire artisanal comme les verres soufflés de Thiago Antonio ou de Yan Tomaszewski, évoquer l’histoire coloniale avec les livres peints et brodés avec du fil d’or par Camila RodriguezTriana. Ces objets ne sont cependant pas inertes, ils sont travaillés, modifiés par les techniques numériques, mais ils demeurent de l’ordre du réel et non du virtuel. Ainsi les formes en verre soufflé de Claire Williams sont animées par les gaz interstellaires colorés qu’elles enferment et vibrent au rythme de l’activité électromagnétique du soleil enregistrée par des capteurs.De la même façon, en récupérant et en refondant partiellement des objets devenus obsolètes comme d’anciennes antennes de télévision, Vin cent Pouydesseau présente une installation sculpturale également en interaction avec les champs électro magnétiques, eux-mêmes parasités par le passage des visiteurs. C’est peut-être le travail le plus emblématique de cette édition qui se distingue de ses précédentes, tout en ne négligeant jamais les nouvelles
technologies, à l’instar des productions de Thomas Depas ou de Jonathan Paquet, alors que les captations sonores de Juan Pablo Villegas rapprochent la nature et la culture, en investissant à distance les serres du
Jardin botanique de Tourcoing. Quant aux revenants évoqués par Jean-Hubert Martin, on pourrait en étendre la signification à l’un de ses
concepts pour cette exposition, puisqu’il a pris le parti d’associer à chaque installation une œuvre d’art puisée dans les collections des musées de la région. Elle a pour objectif d’agir en contrepoint, « n’ayant souvent aucun rapport formel avec l’œuvre de l’artiste, mais constituant des pôles ou des topiques au sein d’une constellation où circule l’imagination créatrice».
Outre des tableaux, des dessins ou des sculptures, on y trouve des objets ethnographiques, des appareils scientifiques, ainsi que des fossiles et des pierres. Bernard Marcelis

 

"La Voix Du Nord" 30/05/2018 : 
  "Debussy célébré en musique et en peinture à la Galerie Collégiale - Lille"

Samedi soir, Véronique Dalle accueillait le pianiste Frédéric Volanti et Yosra Mojtahedi, peintre iranienne, au sein de sa très belle Galerie Collégiale pour un concert performance dédié à Debussy disparu il y a cent ans.
En parfaite osmose, les deux artistes ont proposé à leur public un étonnant voyage. « Debussy était très attiré par la peinture et les arts en général » précise le musicien, passionné par ce compositeur du début du XXe siècle. « Ce concert était une évidence. Les coups de pinceaux sur la toile apportent une dynamique à mon interprétation ». Et la jeune femme d’ajouter : « Mes mains cueillent les notes qui s’envolent. J’ai découvert de nouvelles couleurs en improvisant sur cette musique, elle m’a transmis sa lumière ». L’énergie était palpable dans la salle. Ce dialogue extraordinaire où l’inconscient et la connaissance se rencontrent a beaucoup impressionné le public qui s’est longuement attardé auprès des deux artistes.

 

"La Voix du Nord" 09/05/2015 : Hellemmes: l’Iran de Yosra Mojtahedi à découvrir à la SAGA 

Après l’Iran, l’Allemagne, Dubaï et la Turquie, Yosra Mojtahedi, peintre iranienne, expose pour la première fois en France. Arrivée de son Iran natal depuis l’été 2014, l’artiste a choisi de s’installer dans le Nord.

Dans ses tableaux, la lumière et l’obscurité sont bien imbriquées mais aucune tristesse n’en ressort. Bien au contraire, on ressent une joie et une paix intérieure devant ses peintures fortement influencées par la culture iranienne.

Les œuvres de Yosra mettent l’accent sur la femme objet dans des paysages surréalistes, métamorphoses du monde réel et tous marqués d’une grande profondeur et de poésie, nous emmenant même parfois dans une sorte de méditation. «  Dans le regard des femmes, j’y transpose le doute de l’univers », ajoute Yosra. SAGA continue son bonhomme de chemin permettant à des artistes contemporains d’exposer souvent pour la première fois.

 

Marc Hayet (Journal PARTAGE ,Décembre 2015, N°118)
IL faut de la poésie pour aimer le monde

Depuis fin juin, un portrait de femme orne le mur de la mairie de quartier. C’est l’œuvre de Yosra Mojtahedi, une jeune artiste iranienne. Rencontre.

Vous avez offert un beau cadeau à notre quartier, quel est votre message pour nous ?

J’ai peint une femme parce que la femme pour moi représente la vie : c’est la mère du monde !… Et j’aime représenter la femme comme un arbre, parce qu’elle est aussi le symbole de la stabilité, de la protection et de la joie : les oiseaux chantent en sureté dans ses branches.

Elle a les yeux fermés…

Oui. Elle pense et elle rêve. Le monde n’est pas toujours facile ni beau. On a besoin de rêver et de créer un autre monde. Quand vous devez quitter votre pays, il vous accompagne. Il y a toujours la nostalgie de tous les liens laissés là bas, des couleurs et des paysages. C’est pour cela que j’ai écrit un texte d’un grand poète persan contemporain M-R. Shafiei-Kadkani. Mais quitter son pays et en découvrir un autre, ça vous fait retrouver la richesse de votre culture et désirer la partager. Les roses sont une fleur typique de l’Iran avec un parfum très intense : les pétales qui s’effeuillent veulent rejoindre chacun. C’est l’idée du partage qui crée la paix.

Il y a un deuxième poète dans le tableau : le bouillonnement de lumière qui fait de la femme une sorte de buisson ardent, c’est en fait une calligraphie persane d’un autre grand poète iranien du XIème siècle, Khayyâm. Il faut de la poésie pour aimer le monde.

Les murs de l’appartement sont couverts de tableaux de Yosra. Je lui fais remarquer que, contrairement à l’œuvre très colorée de Lille Sud, le fond est souvent très sombre avec des personnages qui émergent à peine et qui pourtant dégagent une grande clarté. La réponse est tout aussi lumineuse :

« C’est parce qu’il y a l’obscurité que la lumière est si belle ! »

 

(هنر ایرانی بر دیوار شهر لیل فرانسه ( روزنامه کیهان لندن 

از میان آنچه در روزنامه کیهان می‌خوانید ، گفتگو ، هنرهای تجسمی ، ۲۰ دی ۱۳۹۴ / 10 ژانویه 2016

ژورنالیست : سارا دماوندان

بر دیوار ۳ متر و نیمی شهرداری جنوب شهر لیل فرانسه نقاشی زنی است شرقی باموهایی رها در باد. تاج موهایش با شعری از شاعر گرانمایه ایرانی محمدرضا شفیعی کدکنی آراسته شده است:

نقاشی چنان چشم‌نواز است که ناخواسته هر رهگذری را به تماشا وا می‌دارد. در گوشه پایین سمت چپِ نقاشی نام خالق اثر به همراه تصویر کوچکی از کشورش به چشم می‌خورد. یُسری مجتهدی خالق این نقاشی است. دختری که با این نقاشی نام ایران را برای سال‌ها بر دیوار این شهر زنده نگاه داشته و مردم را نسبت به این سرزمین و مردمان‌اش کنجکاو کرده است. نتیجه‌ی یک تماس تلفنی و یک قرار گفت و گو، متنی است که پیش روی شماست

-در بسیاری از گفت‌وگوها برای شروع، یک پرسش تکرار می‌شود: از خودت بگو
-شاید بهتر باشد نخستین سوال شما را با سوال پاسخ بدهم: بیوگرافی چیست؟ آیا بیوگرافی آن چیزی‌ست که بر حسب اتفاق و جبر به وجود می‌آید و شما در انتخاب آن دستی نداشته‌اید، همچون شهر یا خانواده‌ای که در آن متولد شده‌اید چرا که همه اینها در شکل دادن بیوگرافی یا همان زندگی‌نامه نقش بسیار اساسی دارند. حال آنکه به گمان من زندگی‌نامه آن چیزی نیست که به جبر بر شما حاکم می‌شود بل آن چیزی‌ست که شما به اختیار بر می‌گزینید. به گمانم اما از قبل به من اختیاری داده بودند که در خانواده‌ای کرد ،در تهران به دنیا بیاییم. از کودکی عاشق خلق کردن و تغییر ایجاد کردن باشم و عاشقانه مسیر زندگیم را به سوی هنر پیش ببرم. در ابتدایی‌ترین مرحله با گذراندن هنرستان و بعد وارد دانشگاه شدن در رشته نقاشی تا اتمام کارشناسی ارشد در همین رشته. و بعد هم تدریس در دانشگاه.

-برخی خانواده‌ها رویای دکتر یا مهندس شدن فرزندان‌شان را دارند، استقبال و حمایت خانواده‌ از رشته انتخابی‌ات در دانشگاه چگونه بود؟
-همیشه آنها از غوطه‌ور شدنم در این وادی استقبال کردند و با ذهن باز و روشن مرا در انتخاب، آزاد گذاشتند

-نسبت به زمان کوتاهی که در فرانسه زندگی می‌کنی، بسیار پر انرژی و فعال عمل کردی، این شور و هیحان همیشگی با تو بوده یا فضا و حال و هوای فرانسه باعث شد جسورانه فعالیت کنی؟
-من در حین گذراندن دوران دانشجویی‌ام در دانشگاه شروع به نقاشی کردم. چندی نگذشت که نقاشی بستری شد برای رجوع به خودِ گم‌شده‌ام. خودی که هیچ‌گاه نشناختمش. و هر بار با هر اثر تازه گوشه‌ای تازه از او را کشف کردم و باز گم‌اش کردم چرا که با هر طلوع تغییری تازه درونم رخ می‌دهد. در فضایی نه چندان باز، و همواره همراه با خودسانسوری. من این‌گونه دست به خلق زدم. بدین ترتیب آثاری نه به عرف، بلکه کمی تاریک و وهم آلود به وجود آمد. تابلوهایی که در ابتدای مسیر بسیار آبستره و کم کم رو به سمت فیگوراتیو شدن رفتند. فیگور زن‌هایی که همه، من بودند. به گونه‌ی سلف‌پرتره‌هایی که از چشمان همه زنان سخن می‌گفتند. زنانی که همیشه در هاله‌ای از تیرگی فرو می‌رفتند. این جبر سانسور بود که ناخودآگاه همه زنانم را در سایه می‌نشاندم و همواره بر دهان‌هاشان مهری از سکوت قرار می‌دادم. گاه بند ناف کودکی و گاه گلی، گاه تپانچه‌ای و گاه مهی چون ابر…! لیک همیشه ولع نمایش دادن‌شان در من شعله‌ور بود. با وجود مافیایی که در بین گالری‌های ایران هست و بازار تنها برای عده‌ای معدود میسر می‌شود، و با وجود اینکه من و بسیاری از نقاشان از این جمع و مافیا دور بوده‌ایم و به نوعی کناره گرفته بودیم، با این حال نمایشگاه‌های گروهی بسیاری در ایران و ترکیه و دوبی و آلمان و فرانسه برگزار کرده‌ام.

-نقاش جسور تصمیم می‌گیرد چمدان ببندد و ترک سرزمین کند و به جایی قدم بگذارد که هیچ شناختی از آن ندارد. احساس‌ات از این تصمیم چه بود؟
-همان گونه که اشاره کردم، این جبر سنگین که همیشه تو را محکوم به سکوت و یا تسلیم می‌کند بر من نیز همچون بسیاری دیگر، حاکم بود. یک نقاش برای برطرف کردن نیاز درونی‌اش برای خلق کردن و تخلیه هر آنچه طی کشف و شهودی درونی بازیافته است نیاز به بلند حرف زدن دارد. به این معنی که تمام تجربیات درونی و بیرونی‌اش را با دیگران به اشتراک گذارد. در جامعه‌ای که حق بیان هر واژه‌ای نباشد هنرمند با سر تسلیم فرود آوردن، و سرکوب نیازهای درونی‌اش و با سکوت خود، خواهد مرد. مهاجرت به سرزمینی دیگر از روی این جبر است. شاید بهترین گزینه نباشد اما به گمان من تنها گزینه است و مسلما بعد از دور شدن از خاک خود، اولین چیزی که گلویت را فشار می‌دهد همان دلتنگی‌ست. حال که من در فرانسه زندگی می‌کنم، پاریس و این سرزمین را چنین دیده‌ام: این سرزمین زنی‌ست با پیراهنی فاخر. عروسی‌ست خاکستری‌پوش. زنی‌ست افسونگر و شهوت‌انگیز. همان گونه که تو را از بوی عطرش مست می‌کند و تو را برای نوشیدن از لب‌اش تشنه می‌گذارد، همان گونه تو را خسته‌ترین، به گوشه‌ی تنهایی‌ات رهایت می‌کند. در این سرزمین بوسه هنوز زیباترین و عمیق‌ترین واژه‌ست . اینجا عشق همیشگی‌ست، تا ابد است .نه برای دوران کودکی و جوانی‌ات. تا ابد تا صد سالگی. اینجا پدر و مادرها با عشق یکدیگر را می‌نگرند و یکدیگر را به آغوش می‌کشند. این‌چنین است که دوست داشتن را کودکان یاد گرفته‌اند.
ببین سارا، من مردی را دیدم که بعد از پنجاه سال زندگی با زنی که دوستش می‌داشت، بعد از مرگ آن زن ،گوشواره‌هایش را به گوش کرد. من پیرمردی نود ساله را دیدم که با معشوق نودساله‌اش در برابر تابلوی “در چمنزار ” ادوارد مانه همچنان عاشقانه دستان پر چروک معشوقش را نوازش می‌کرد و می‌بوسید. من زنی را دیدم هشتاد ساله، فارغ از نژاد و رنگ و دین و مذهب، صبح‌ها برای کمک به زنان و مردان بی خانمان و آواره در این کشور بیگانه، تلاش می‌کرد. عشق اینجا همان عشقی‌ست که ما آن را همیشه در کتابهای‌مان در کتابخانه‌ها چونان افسانه جستیم، نه در کتاب‌های درسی‌مان در خردسالی. من همه مردم این سرزمین را آزاد دیدم. آزاد برای هر آنچه که یک انسان نیازمند آن است. آزادی، و این تفاوت‌های اینجا با سرزمین آباء و اجدادی من است.

– ایده‌ی نقاشی روی دیوار شهرداری لیل رو از کجا گرفتی؟ آیا خودت مطرح کردی یا اینکه خواست آنها بود؟
-من پس از ورودم به فرانسه با یک بینال نقاشی دیواری با نام BIAM آشنا شدم. از آنجایی که در ایران هم برای شهرداری طراحی کرده بودم (البته با شکست مواجه شد چرا که بنا به نظر آنها من از رنگ های بسیاری برای نقاشی دیوارهای تهران استفاده کرده بودم، و تمام طرح‌هایم رد شدند). پس از آشنایی‌ام با این بینال و دیدن طرح‌های قبلی‌ام از من خواستند یکی از طراحی‌هایم را روی یک دیوار اجرا کنم. اما من تصمیم گرفتم برای یک طرح تازه و دلم خواست از تمام دلتنگی‌ام از زبان تمام مهاجرانی که به اجبار خاک سرزمین زیبای خود را ترک می‌کنند سخن بگویم. با استقبال بی نظیری از مردم آن منطقه رو برو شدم که برایم بسیار شادی‌آور بود چرا که به هنگام کار بر روی دیوار، مردم از اشتیاق‌شان برای این نقاشی حرف می‌زدند و گاه همدردی می‌کردند. مردم غیرفرانسوی نیز از غم وطن‌شان با من سخن می‌گفتند.

-این اثر تا چه اندازه مورد استقبال مقامات شهری قرار گرفت؟
-مقامات شهرداری آن محل، این نقاشی را هدیه‌ای برای خود و مردم آن منطقه به شمار آوردند و طی مراسمی از من به عنوان عضوی کوچک از ایران تقدیر به عمل آمد. با دادن هدیه‌ای ارزشمند، از من تشکر کردند و خود را نزدیک به مردم ایران خواندند.

-در تمام سوژه‌هایت زنی‌ دیده می‌شود که بی شباهت به خودت نیست. حتی روی همین دیوار تو از زبان یک زن داری سخن میگی. آیا با هدف خاصی سوژه‌ات را زن انتخاب کردی؟
-بله، درست متوجه شدی. همان طور که اشاره کردم، من از تصویر خود به عنوان یک زن، از زبان تمام زنان سرزمین خود حرف می‌زنم. دلم می‌خواهد صدای بلند آواز تمام زنان سرزمین‌ام باشم. چشمان‌ام به جای چشمان‌شان و دستان‌ام به جای دستان‌شان نقش می‌زند .و این نقاشی نیز نه تنها مستثنی نبود بلکه مرا بیشتر وا داشت تا تصویری بشوم برای نمایش آرزوها و آمال زنان ایران عزیز و شاید تمام دنیا. من بر روی این دیوار نقش زنی را تصویر کرده‌ام مثل درخت و همچون گیاه . چرا که زن نماد زندگی‌ست، نماد رویش و زایش، زن نماد سبزی‌ست. در پشت این زن هاله‌ای را همچون کوه قرار داده‌ام که نمادی است از پایداری و استقامت و صبر (نمادِ تمامی مادران) و در بالا ی تصویر واژه‌هایی سیال، همچون تشعشع خورشید قرار داده‌ام که نمادی از نور و امید است برای تمامی مردم سرزمین‌ام و همچنین گل‌های رز که نماد عشق است و مهر.

-در کنار تصویر، شعری از شفیعی کدکنی نیز نوشته شده، آیا ابتدا شعر را خواندی و بعد سوژه نقاشی به ذهن‌ات رسید یا همزمان؟
-من عاشق شعر و ادبیات هستم. و در کودکی این شعر را با صدای فرهاد ، عاشقانه دوست داشتم. اما هیچ گاه ای‌نچنین واژه واژه‌اش را با جان، درک نکرده بودم. وقتی به فرانسه آمدم، پس از مدتی کوتاه روح پدرم پرواز کرد و بغض ندیدن‌اش و دلتنگی‌ام برای تمام چیزهایی که از دست داده بودم تا چیزهایی دیگر به دست آورم در گلویم بدل به گره‌ای شد. این شعر گویی از زبان من حرف می‌زند. بی گمان او نیز بدل به بنفشه‌ای می‌شود و دوباره می‌روید. به این دلیل ،نا خودآگاه این شعر، ورد زبان‌ام شد. با هر تلنگری به نوک زبان‌ام جاری می‌شد. به هنگام خلق این کار نیز تنها شعری بود که گویا و روشن از زبان کسانی مثل من سخن می‌گفت:

ای کاش آدمی وطنش را
مثل بنفشه‌ها
(در جعبه‌های خاک)
یک روز می‌توانست
همراه خویشتن ببرد هر کجا که خواست
در روشنایِ باران، در آفتابِ پاک.

-آیا تصمیم داری بار دیگر چنین سبکی را بر روی دیوار دیگری اجرا کنی؟
۰بله .صد البته. چرا که توقف همچون مرگ می‌ماند. اما مشکل پیدا کردن روابطی‌ست که با درخواست من برای انجام پروژه‌ای جدید موافقت کنند . که با کمال میل در هر شهر و کشوری که باشد به استقبال می‌روم.

-دوست داری درباره برنامه‌ای که در ذهن‌ات برای آینده در نظر گرفتی صحبت کنی؟
-در حال حاضر روی چند پروژه همزمان کار می‌کنم. نقاشی و فتو آرت و نقاشی دیواری. نقاشی که در آتلیه من انجام می‌شود ،همان طور که اشاره کردم، کشف و شهودی‌ست کاملا درونی و طبیعتا همچنان آن را دنبال می‌کنم. و مجموعه تازه‌ای را شروع کرده‌ام که مایل به نمایش آن هستم و هم اکنون به دنبال پیدا کردن گالری هستم که با توجه به فضای شخصی کارهایم، مایل به نمایش کارهایم باشد. از هر گونه پروژه جدید چه در ارتباط با گالری‌ها و چه در ارتباط با نقاشی دیواری در هر کجا، استقبال می‌کنم.

– و حرف آخر…؟
-می‌خواهم برای تمام مردم سرزمین‌ام، و مردم دنیا صلح و آزادی آرزو کنم. به امید روزی که همه مرزها از میان برداشته شود و  .عشق و.مهر بر قلب‌ها حکومت کند

    …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………