Noir, comme l’écran de projection fantasmatique dédié à nos paupières lourdes et fermées, d’où aucun rêve n’émerge encore.
Noir, comme l’écran d’ordinateur qui n’est pas encore allumé mais qui, d’un geste, remplacera l’obscurantisme par la connaissance.
Noir, comme ce noir sidéral qui absorbe tout, même la lumière de nos vœux les plus justes et pieux.
Dans l’univers de Yosra Mojtahedi le noir représente l’absolu, le rien et le tout, la vérité en toutes choses.
Le noir est deuil de lui-même, s’il ne peut révéler la lumière et ses subtilités colorées, diffractées.
Il est mystère, silence et sophistication.
Il est l’élément éminent de toute mise en scène, des peurs enfantines comme des jeux adultes.
Il incarne l’abnégation, le renoncement, le sacerdoce.
L’artiste prête au noir des intentions cachées dans les plis et replis de ses dessins, tels des indices nécessaires à la compréhension de ses installations. Le noir accompagne les protubérances palpitantes et odoriférantes, selon l’amorce des mouvements de certains éléments de ses sculptures-assemblages, sous la gouverne d’une action du spectateur impliquant une réponse. Le masculin se fond dans le féminin en un corps total, désirant et réactif, impulsant le désir chez le spectateur-acteur-voyeur. L’oeuvre-machine auto-érotique et auto-alimentée de ses propres ressources, se nourrit des stimuli externes tout en se suffisant à elle-même. Hermaphrodite, elle n’attend qu’un hâle, une caresse distraite pour s’activer.
Qui se souvient des corpuscules de Krause, ces capteurs sensoriels destinés à nous faire ressentir le froid, mais appliqués aux érectilités sexuelles, procurent du plaisir ? Des corpuscules dont on aimerait parsemer tout l’épiderme des corps des deux sexes, à des fins érotiques dans un premier temps, et sociaux dans un but ultime : la paix, enfin ! ¹
Stimulus-réponse : c’est ainsi que l’artiste envisage ses sculptures animées : en impliquant le désir vivant. Un corps à corps entre le geste désincarné et la matrice robotisée, où le viscéral se coltine le cérébral sans aucune possibilité d’en être extrait.
Sommes-nous, à ce titre, des machines amoureuses ? La normalisation du déni ignorantiste duquel le rôle des hormones entre le cerveau et les organes génitaux se pose en problème, au même titre que la rotondité de la terre, de son cycle autour du soleil.
Ombre dionysiaque et lumière apollinienne, le manichéisme n’est pas vain.
Yosra Mojtahedi a l’intuition de la raison, comme au temps béni des surréalistes.
De l’informe² au sens que Georges Bataille en fit la définition dans sa revue Documents, redéfini par Rosalind Krauss et Georges Didi-Huberman dans les années 90, présume du chemin à parcourir pour apprécier pleinement l’envergure du travail mené par l’artiste, afin d’en finir avec nos visions obsolètes du mécanisme qui induit l’érectilité de nos pensées comme de nos objets sub balteus.
De l’objet du désir, s’il l’est encore, à l’heure du tout abject, il en est question : érectilité mécanisée, senteurs synthétisées, corps végétalisé, minéralisé, démembré, réassemblé, déconstruit avec la nécessité de le repenser, à l’heure de l’après ; de l’après-tout-ce-qui-se-passera, de toutes les manières…
¹ Relire, à ce propos, l’épilogue des particules élémentaires de Michel Houellebecq, éd. Flammarion,1998.
² Georges Bataille, Documents 7, décembre 1929 : « affirmer que l’univers ne ressemble à rien et n’est qu’informe revient à dire que l’univers est quelque chose comme une araignée ou un crachat »).
Christophe Wlaeminck , 2023