Lorsque l’on pénètre l’obscurité qui abrite Vitamorphose, la dernière pièce de la jeune iranienne Yosra Mojtahedi, on fait face à un monolithe difforme qui nous attire inexorablement vers la vie de ses formes moulées en polymère robotisé. Vitamorphose est une œuvre avec laquelle le visiteur établit une relation inconsciente et complice. Une sculpture qui interagit si bien avec son visiteur, en respirant, bougeant, ronronnant même, à l’approche de ce dernier, qu’il ne pourra résister à avancer rapidement la main pour en toucher la texture et les formes cachées. Il découvre un téton, une anfractuosité une saillie, une fesse, une poitrine et peut-être aussi un sexe ou une fossette qui palpite sous sa main. Un façon d’avoir une expérience avec l’objet, sa matière, sa forme et sa vie !
Si la sculpture de Yosra Mojtahedi n’est pas forcément faite pour être palpée, l’attitude de l’œuvre même qui émerge de l’obscurité brise les tabous et établit tout de suite une relation inconsciente avec ses visiteurs qui ont envie de briser les interdits.
Découverte fin 2019 dans Panorama 21, cette sculpture cybernétique s’expose ce début 2020 dans une exposition intitulé Fluidité : L’humain qui vient. A partir de là rien n’est un hasard car Yosra Mojtahedi est à la recherche d’une nouvelle humanité. En France depuis 5 ans la jeune plasticienne, qui vit et travaille à Lille, a très tôt commencé à peindre et à dessiner et c’est à l’université de Téhéran qu’elle validera un master d’art plastique alors qu’elle expose déjà en galeries. J’y montrais des œuvres très classiques : des dessins, des toiles ou même des petites formes comme des écritures. Mais je me concentrais sur la peinture et aussi sur la photographie.
S’il y a quelque chose qui a orienté mon travail, c’est la censure iranienne.
C’est chez ses parents fonctionnaires que cette jeune fille commence à peindre des toiles avec beaucoup de couleurs qu’elle expose complètement noires. Peinture dont qu’il ne reste que de petits éléments figuratifs : un peu de visage, une main, un œil. Inconsciemment, Yosra rajoutait sur les figures et les corps des couches et des couches de noir avant de les montrer en public. Un travail recouvert par un voile noir qui dure presque 10 ans, avec une prise de conscience qui émerge en France lorsqu’elle décide de quitter l’Iran pour voir “comment c’est de travailler avec plus de liberté dans un autre pays. J’ai pris conscience que tout ce noir de mes tableaux venait de la censure de la société iranienne. Je m’était inconsciemment auto-censuré.
Jean Jacques Gay, Artension/ avril 2020, Pages 40-42